Maxence Rifflet |
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À l’ouest des Trois-Gorges
« Rien d’immobile n’échappe
aux dents affamées des ages,
La durée n’est point le sort du solide.
L’immuable n’habite pas vos murs, mais en vous, hommes lents, hommes
continuels. »
J’ai appris à parler à Wuhan, une
grosse ville industrielle du centre de la Chine, bâtie de
part et d’autre du Yangtsé.
C’était au début des années
1980. Mon père y enseignait l’informatique
à l’université.
J’étais à l’école
chinoise. « Wo yao pomme » (je
veux une pomme) est resté en usage dans ma famille pour
rappeler le mélange des langues que je pratiquais alors.
C’est sans doute parce qu’il ne me restait presque
aucun souvenir de cette époque que j’ai voulu
retourner en Chine. C’est sans doute aussi pour renouer avec
ces premiers balbutiements que j’ai ensuite appris le chinois. * * *
Dans un essai intitulé « L’attitude des chinois à l’égard du passé » et paru en 1987, le sinologue et essayiste belge Simon Leys déclarait : « Cette Chine chargée de tant d’histoire et d’un tel poids de souvenirs est aussi singulièrement dépourvue de monuments anciens. Le passé est physiquement absent du paysage chinois à un point qui peut déconcerter le voyageur occidental cultivé, surtout s’il aborde la Chine avec les critères que l’on adopte naturellement dans un entourage européen. […] si l’on excepte un très petit nombre d’ensembles célèbres, (d’une antiquité d’ailleurs fort relative), ce qui frappe le visiteur c’est la monumentale absence du passé. » Plus loin, il ajoute, à la suite d’un commentaire du poème de Segalen cité en exergue : « [Pour les chinois,], l’éternité ne doit pas habiter l’architecture, elle doit habiter l’architecte. La nature transitoire du monument est comme une offrande faite à « la voracité du temps », et c’est au prix de ce sacrifice que le constructeur assure la permanence de son dessein spirituel. » * * *
La construction du barrage des Trois-Gorges est un projet
d’urbanisme à grande échelle :
orienter vers le centre de la Chine un développement
économique qui s’était
jusque-là concentré le long des côtes.
La monumentalité de l’entreprise a
transformé la vallée du Yangtsé en un
vaste chantier faisant apparaître les tensions :
entre la ville et la campagne, l’antique et le moderne, le
monde ouvrier et le monde paysan, propriété
individuelle et collective. |
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